Rencontre du Pape François avec les journalistes sur le vol de Rio à Rome, au retour de son premier voyage apostolique à l'occasion des 28e Journées Mondiales de la Jeunesse.
Bonsoir et merci infiniment. Je suis content. Ce fut un beau voyage, spirituellement cela m’a fait du bien. Je suis fatigué, assez, mais j’ai le cœur joyeux, et je vais bien : cela m’a fait du bien spirituellement. Rencontrer les personnes fait du bien ; car le Seigneur œuvre en chacun de nous, il travaille dans les cœurs, et la richesse du Seigneur est si grande que nous pouvons toujours recevoir beaucoup de belles choses des autres. Et cela me fait du bien. Ceci, comme premier bilan.
Puis je dirais que la bonté, le cœur du peuple brésilien est grand, oui c’est vrai : il est grand. C’est un peuple si aimable, un peuple qui aime la fête, qui même dans la souffrance trouve toujours un chemin pour chercher le bien quelque part. Et cela c'est bien : c’est un peuple joyeux, le peuple a beaucoup souffert! L’allégresse des brésiliens est contagieuse! Ce peuple a un grand cœur.
Puis je dirais des organisateurs, tant de notre part comme du côté des Brésiliens ; mais j’ai senti que je me trouvais devant un ordinateur, cet ordinateur incarné… mais vraiment! C’était tout chronométré, n’est-ce-pas? Mais beau. Puis nous avons eu des problèmes avec les hypothèses de sécurité : sécurité par-ci sécurité par-là ; il n’y a eu aucun incident dans tout Rio de Janeiro, ces jours-ci, et tout était spontané.
Avec moins de sécurité, j’ai pu être avec les gens, les étreindre, les saluer, sans voitures blindées… la sécurité c'est d’avoir confiance dans un peuple. C’est vrai, il y a toujours le danger qu’un fou… eh, oui, qu’il y ait un fou qui fasse quelque chose : mais il y a aussi le Seigneur! Mais mettre un espace blindé entre l’évêque et le peuple est une folie ; et je préfère cette folie : dehors, et courir le risque de l’autre folie. Je préfère cette folie : dehors. La proximité fait du bien à tout le monde.
Et puis, l’organisation des Journées, pas quelque chose en particulier, mais tout : la partie artistique, la partie religieuse, la partie catéchétique, la partie liturgique… c’était très beau! Ils ont une capacité à s’exprimer dans l’art. Hier, par exemple, ils ont fait de très très belles choses !
Puis, Aparecida : Aparecida pour moi c'est une expérience religieuse forte. Je me souviens de la Cinquième conférence [des évêques d'Amérique latine et des Caraïbes]. Je suis resté là, pour prier, prier. Je voulais y aller seul, un peu en cachette, ce n’était pas possible, je le savais avant d’arriver. Il y avait une foule impressionnante! Et nous avons prié.
Mais vous aussi, de votre côté, on met dit que votre travail a été, on m’a dit – moi je n’ai pas lu les journaux ces jours-ci, je n’avais pas le temps, je n’ai pas regardé la TV, rien –, mais on m’a dit que vous avez fait du bon, bon, bon travail! Merci, merci pour la collaboration, merci d’avoir fait tout ça.
Et puis le nombre, le nombre des jeunes. Aujourd’hui – je ne peux y croire – mais aujourd’hui le Gouverneur parlait de trois millions. Je ne peux y croire. Mais de l’autel – c’est vrai! – je ne sais si certains d’entre vous étaient à l’autel : de l’autel jusqu’à la fin, la plage était pleine, jusqu’au tournant ; plus de quatre kilomètres. Mais tant de jeunes. Et on dit, Mgr Tempesta m’a dit qu’ils étaient de 178 Pays : 178! Le vice-président aussi m’a donné les mêmes chiffres: ça c’est sûr. C’est important! Fort!
Question sur Mgr Ricca et sur le lobby gay
Pour Mgr Ricca, j’ai fait ce que le droit canon demande de faire, c’est la investigatio previa [enquête préalable à toute nomination, ndlr]. Et de cette investigatio, il n’y a rien des accusations portées contre lui, nous n’avons rien trouvé à ce sujet. Voilà la réponse.
Mais je voudrais ajouter quelque chose sur ce point : je vois que souvent, dans l’Église, en dehors de ce cas et aussi dans ce cas, on va chercher les "péchés de jeunesse", par exemple, et on le publie. Pas les délits, hein ? Les délits, c’est autre chose : l’abus des mineurs est un délit. Non, les péchés. Mais si une personne, laïque ou prêtre, ou sœur, a fait un péché et s’est convertie ensuite, le Seigneur pardonne, et quand le Seigneur pardonne, le Seigneur oublie et ça, c’est important pour notre vie. Quand nous allons nous confesser et que nous disons vraiment « J’ai péché sur ce point », le Seigneur oublie et nous n’avons pas le droit de ne pas oublier, parce que nous courons le risque que le Seigneur n’oublie pas nos péchés. C’est un danger, ceci. C’est important : une théologie du péché. Si souvent, je pense à Saint Pierre : il a fait un des pires péchés, qui est de renier le Christ, et avec ce péché, on l’a fait pape. Nous devons beaucoup y réfléchir.
Mais, pour revenir à votre question plus concrète : dans ce cas, j’ai fait l’investigatio previa et nous n’avons pas trouvé. C’est la première question. Et puis, vous parliez du lobby gay. Bah ! On écrit tellement sur le lobby gay. Je n’ai pas encore trouvé quelqu’un qui puisse me donner la carte d’identité, au Vatican, avec "gay ". On dit qu’il y en a. Je crois que quand on se trouve avec quelqu’un comme ça, on doit distinguer le fait d’être une personne gay du fait de faire un lobby, parce que les lobbies, tous, ne sont pas bons. Ca, c’est mauvais.
Si une personne est gay et cherche le Seigneur et qu’elle est de bonne volonté, mais qui suis-je pour la juger ? Le Catéchisme de l’Église catholique explique cela d’une manière très belle, mais il dit, attends un peu, comment dire, et il dit : « il ne faut pas marginaliser ces personnes pour autant, elles doivent être intégrées dans la société ». Le problème n’est pas d’avoir cette tendance, non, nous devons être frères, parce que lui c’en est un, mais s’il y en a un autre, un autre. Le problème, c’est de faire un lobby de cette tendance : lobby d’avares, lobby de politiciens, lobby de francs-maçons, tous ces lobbies. C’est cela, le problème le plus grave pour moi. Et je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question. Merci beaucoup !
Hada Messia (États-Unis, CNN) : le pape se sent en cage ?
Vous savez combien de fois j’ai eu envie d’aller dans les rues de Rome, parce que, à Buenos Aires, j’aimais aller dans la rue, j’aimais tellement ! En ce sens, je me sens un peu en cage. Mais, ça, je dois le dire, parce qu’ils sont tellement bons, ceux de la Gendarmerie vaticane, ils sont bons, bons, bons, et je leur en suis reconnaissant.
Maintenant, ils me laissent faire un peu plus de choses. Je crois… leur devoir est de maintenir la sécurité. En cage, dans ce sens-là. Moi, j’aimerais aller dans la rue, mais je comprends que ce n’est pas possible, je le comprends. C’est dans ce sens que j’ai dit cela. Parce que j’avais l’habitude, comme on dit à Buenos Aires, j’étais un prêtre callejero [des rues]…
L'austérité, la curie, les saints
Les changements… les changements viennent de deux versants : celui que nous cardinaux nous avons demandé et celui qui vient de ma personnalité. Vous parliez du fait que je suis resté à Sainte-Marthe : mais je ne pourrais pas vivre seul dans le Palais, et ce n’est pas luxueux. L’appartement pontifical n’est pas si luxueux! Il est large, grand, mais ce n’est pas luxueux. Mais je ne peux pas vivre tout seul ou avec un petit groupe! J’ai besoin de gens, de trouver des gens, de parler avec les gens… c’est pourquoi quand les enfants des écoles jésuites m’ont demandé : « Pourquoi vivez-vous à Sainte-Marthe? Par austérité, par pauvreté? ». Non, non : pour raisons psychiatriques, tout simplement, car psychologiquement je ne peux pas. Chacun doit mener sa vie avec sa manière de vivre, d’être. Les cardinaux qui travaillent à la curie ne vivent pas en riches ou plein de fastes : ils vivent dans un petit appartement, sont austères : ceux que je connais, ces appartements que l’APSA donne aux cardinaux.
Et puis, je voulais vous dire une autre chose. Mais l’austérité – une austérité générale – je crois que nous tous qui travaillons au service de l’Eglise nous en avons besoin. Il y a tant de nuances dans l’austérité… chacun doit chercher sa voie.
Quant à la question des saints [à la curie] , c’est vrai, il y en a beaucoup : cardinaux, prêtres, évêques, religieuses, laïques; des gens qui prient, des gens qui travaillent beaucoup, mais qui vont aussi voir les pauvres, en cachette. Je sais qu’il y en a certains qui se préoccupent de donner à manger aux pauvres et qui, dans leurs heures de liberté, vont exercer leur ministère dans une église ou dans une autre… ils sont prêtres. Il y a des saints à la curie.
Et certains qui ne le sont pas, et ceux-là sont ceux qui font le plus de bruit. Vous le savez, un arbre qui tombe fait plus de bruit qu’une forêt qui pousse. Et je souffre quand il y a ces choses. Il y en a certains qui font scandale, certains. Nous avons ce monseigneur en prison, je crois qu’il est encore en prison ; il n’y est pas allé parce qu’il ressemble à la bienheureuse Imelda, ce n’était pas un bienheureux. Ce sont des scandales qui font mal. Une chose – ça je ne l’ai jamais dit, mais je m’en suis aperçu – je crois que la curie a un peu baissé de niveau par rapport à autrefois, à l’époque des vieux curiaux… le profil du vieux curial, fidèle, qui faisait son travail. Nous avons besoin de ces personnes. Je crois… il y en a, mais pas autant qu’avant. Le profil du vieux curial : je dirais comme ça. Nous devons en avoir davantage.
Si je trouve de la résistance? Mah! S’il y a de la résistance, je ne l’ai pas encore vue. Il est vrai que je n’ai pas fait tant de choses, mais on peut dire que, oui, j’ai trouvé de l’aide, et j’ai trouvé aussi des personnes loyales. Par exemple, j’aime bien quand une personne me dit : « Je ne suis pas d’accord », et ça je l’ai trouvé. « - Mais cela je ne le vois pas, je ne suis pas d'accord. - Je vous le dis, faites-le ». Celui-là, c’est un vrai collaborateur. Et je l’ai trouvé à la curie. C’est bien. Mais quand il y a ceux qui disent : « Ah, tout est beau, tout est beau, tout est beau », et puis disent le contraire de l’autre côté… je ne sais pas, peut-être qu’il y en a quelques uns mais je ne m’en suis pas encore aperçu. De la résistance, en quatre mois, il ne peut pas y en avoir beaucoup…
Parole du pape sur la canonisation et les autres causes
Jean XXIII est un peu la figure du "prêtre de campagne", le prêtre qui aime chacun des fidèles, qui sait prendre soin des fidèles et cela, il l’a fait comme évêque, comme nonce. Combien de témoignages de faux [certificats de] baptêmes a-t-il faits en Turquie pour sauver les juifs ! C’est un homme courageux, un bon prêtre de campagne, avec un humour si grand, si grand, et une grande sainteté. Quand il était nonce, il y en a quelques-uns qui ne l’aimaient pas tellement au Vatican, et quand il arrivait pour apporter quelque chose ou pour faire une requête, dans certains bureaux, on le faisait attendre. Il ne s’est jamais plaint, jamais ; il priait le chapelet, lisait son bréviaire. Un doux, un humble, même lorsqu’il se préoccupait des pauvres.
Quand le cardinal Casaroli est rentré d’une mission – je crois en Hongrie ou dans ce qui était alors la Tchécoslovaquie, je ne me souviens plus laquelle des deux – il est allé le trouver pour lui expliquer comment s’était passé la mission, à cette époque de la diplomatie des "petits pas". Et ils ont eu l’audience – Jean XXIII devait mourir vingt jours plus tard – et au moment où Casaroli prenait congé, il l’arrêta : « Ah ! Éminence – non, il n’était pas Éminence – Excellence, une question : vous continuez à aller trouver ces jeunes ? ». Parce que Casaroli allait à la prison des jeunes mineurs de Casal del Marmo, et il jouait avec eux. Et Casaroli a dit : « Oui, oui ! ». « Ne les abandonnez jamais ! ». Cela à un diplomate, qui rentrait d’un voyage de diplomatie, un voyage si important. Jean XXIII a dit : « N’abandonnez jamais les jeunes ». Mais c’est un grand, un grand !
Et c’est aussi celui du Concile : c’est un homme docile à la voix de Dieu, parce que cela lui est venu de l’Esprit-Saint, cela lui est venu et il a été docile. Pie XII y avait pensé, mais les circonstances n’étaient pas mûres pour le faire. Je crois que lui n’a pas pensé aux circonstances, il a senti cela et il l’a fait. Un homme qui se laissait guider par le Seigneur.
Sur Jean-Paul II, il me vient à l’esprit de dire : « le grand missionnaire de l’Église ». C’est un missionnaire, c’est un missionnaire, un homme qui a porté l’Évangile partout, vous le savez mieux que moi. Lui, combien de voyages a-t-il faits ? Mais il y allait ! Il ressentait ce feu d'apporter la Parole du Seigneur. C’est un Paul, c’est un saint Paul, c’est un homme comme ça ; pour moi, cet homme est grand.
Et faire la cérémonie de canonisation de tous les deux ensemble, je crois que c’est un message pour l’Église : ces deux-là sont bons, ils sont bons, ils sont bons tous les deux.
Mais il y a la cause de Paul VI en cours, et aussi celle du pape Luciani : elles sont toutes les deux en cours.
Mais, encore une chose que je crois avoir dite, mais je ne sais pas je l’ai dite ici où là : la date de la canonisation. On pensait au 8 décembre de cette année, mais il y a un gros problème ; ceux qui viennent de Pologne, les pauvres, parce qu'il y a ceux qui ont les moyens de venir en avion, mais les plus pauvres viennent en bus, et, en décembre, les routes sont déjà gelées et je crois qu’il faut repenser la date.
J’ai parlé avec le cardinal Dziwisz et il m’a suggéré deux possibilités : ou le Christ-Roi de cette année, ou le dimanche de la miséricorde de l’année prochaine. Je crois qu’il y a peu de temps d’ici le Christ-Roi de cette année, parce que le Consistoire sera le 30 septembre et fin octobre, c’est trop court mais je ne sais pas, je dois en parler avec le cardinal Amato. Mais je crois que ce ne sera pas le 8 décembre.
A propos de Vatileaks :
Quand je suis allé trouver le pape Benoît, après avoir prié dans la chapelle, nous nous sommes installés dans son bureau et j’ai vu une grande boîte et une grosse enveloppe. Benoît m’a dit, il m’a dit : « Dans cette grande boîte, il y a toutes les déclarations, ce que les témoins ont dit, elles sont toutes là. Mais le résumé et le jugement final sont dans cette enveloppe. Et ici on dit que blablabla… ». Il avait tout dans la tête ! Mais quelle intelligence ! Tout de mémoire, tout ! Mais non, je n’ai pas eu peur, non. Non, non. Mais c’est un gros problème, hein ? Mais je n’ai pas eu peur.
Sur ses relations de travail et de collaboration avec Benoît XVI , il a ajouté :
Je crois que la dernière fois qu’il y a eu deux papes, ou trois papes, ils n’ont pas parlé entre eux, ils luttaient pour voir qui était le pape authentique. Ils sont arrivés à être trois pendant le schisme d’Occident.
Il y a une chose qui qualifie mon rapport avec Benoît : je l’aime beaucoup. Je l’ai toujours aimé. Pour moi, c’est un homme de Dieu, un homme humble, un homme qui prie. J’ai été si heureux quand il a été élu pape. Et aussi lorsqu’il a donné sa démission, cela a été pour moi un exemple de grandeur ! Un grand. Seul un grand fait cela ! Un homme de Dieu et un homme de prière.
Maintenant, il habite au Vatican et certains me disent : mais comment est-ce possible ? Deux papes au Vatican ! Mais il ne t’encombre pas ? Mais il ne fait pas la révolution contre toi ? Tout ce qu’on entend dire, non ? J’ai trouvé une phrase pour exprimer cela : « C’est comme d’avoir le grand-père à la maison », mais un grand-père sage.
Dans une famille, quand le grand-père est à la maison, il est vénéré, il est aimé, il est écouté. C’est un homme d’une prudence ! Il ne s’immisce pas. Je lui ai si souvent dit : « Sainteté, recevez, faites votre vie, venez avec nous ». Il est venu pour l’inauguration et la bénédiction de la statue de Saint Michel. Voilà, cette phrase dit tout. Pour moi, c’est comme d’avoir le grand-père à la maison, mon papa.
Si j’avais une difficulté ou quelque chose que je n’avais pas compris, je lui téléphonerais : « Mais, dites-moi, je peux le faire, je peux faire ça ? ». Et lorsque je suis allé lui parler de ce gros problème, de Vatileaks, il m’a tout dit avec une simplicité… au service. Il y a quelque chose, je ne sais pas si vous le savez, je crois que si, mais je n’en suis pas sûr : quand il nous a parlé, dans son discours de congé, le 28 février, il nous a dit : « Parmi vous se trouve le prochain pape : je lui promets obéissance ». Mais c’est un grand ; cet homme est un grand !
Pourquoi insistez-vous sur votre charge d'évêque de Rome?
Il ne faut pas aller au-delà de ce qui est dit. Le pape est évêque de Rome, et parce qu’il est l’évêque de Rome, il est le successeur de Pierre, vicaire du Christ ; Il y a d’autres titres, mais le premier des titres est « Evêque de Rome », c’est de là que tout part. Parler, penser que cela veut dire être primus inter pares, non, ceci n’est pas la conséquence de cela. C’est tout simplement le premier titre du pape : Evêque de Rome. Mais il y a aussi les autres… Je crois que vous avez dit quelque chose sur l’œcuménisme : Je crois que cela favorise un peu l’œcuménisme. Mais seulement ça…
Et le carriérisme dans l’Eglise?
Faire l’évêque est un beau travail. Le problème c’est quand on recherche ce travail : ça ce n’est pas aussi bien, cela ne vient pas du Seigneur. Mais quand le Seigneur appelle un prêtre à devenir évêque, cela est beau. Il y a toujours le danger de se croire supérieur aux autres, et non comme les autres, un peu prince. Ce sont des dangers et des péchés. Mais faire l’évêque est un beau travail : c’est aider les frères à avancer. L’évêque devant les fidèles, pour marquer la route ; l’évêque au milieu des fidèles pour aider la communion ; et l’évêque derrière les fidèles, car les fidèles ont tant de fois le flair de la route. L’évêque doit être comme ça. Vous me demandiez si cela me plaisait ? Oui j’aime faire l’évêque, cela me plait. A Buenos Aires j’étais si heureux! J’étais heureux, vraiment. Le Seigneur m’a assisté en cela. Mais comme prêtre j’étais heureux, et comme évêque j’étais heureux. C’est en ce sens-là que je dis : ça me plaît !
Et faire le pape ?
Aussi, aussi ! Quand le Seigneur vous met là, si vous faites ce que le Seigneur veut, vous êtes heureux. C’est mon sentiment, ce que je ressens.
Vous vous sentez encore Jésuite?
C’est une question théologique, parce que les jésuites font vœu d’obéissance au pape. Mais si le pape est jésuite, il doit peut-être faire vœu d’obéissance au Général des jésuites… Je ne sais pas comment résoudre ça… Je me sens jésuite dans ma spiritualité ; dans la spiritualité des "Exercices", la spiritualité, celle que j’ai dans le cœur. Je me sens tellement comme ça que, dans trois jours, j’irai fêter avec les jésuites la fête de Saint Ignace ; je dirai la messe le matin. Je n’ai pas changé de spiritualité, non. François, franciscain : non. Je me sens jésuite et je pense en jésuite. Pas de manière hypocrite, mais je pense en jésuite. Merci à vous.
Votre bilan des quatre premiers mois de pontificat?
Mais je ne sais pas comment répondre à cette question, vraiment. Des grandes choses, des grandes choses, il n’y en a pas eu. Des choses belles, oui. Par exemple, la rencontre avec les évêques italiens a été si belle, si belle. En tant qu’évêque de la capitale d’Italie, je me suis senti chez moi avec eux. Et ça, c’était beau, mais je ne sais pas si cela a été la meilleure chose. Une chose douloureuse, mais qui est pas mal entrée dans mon cœur, la visite à Lampédouse. Mais cela fait pleurer, cela m’a fait du bien. Mais quand ces barques arrivent, on les laisse à quelques milles de la côte et ils doivent, en barque, arriver tout seuls. Et cela me fait souffrir parce que je pense que ces personnes sont victimes d’un système socio-économique mondial. Mais le pire, excusez-moi, qui me soit arrivé, c’est un sciatique – vraiment ! – que j’ai eue le premier mois parce que pour faire les interviews, je m’asseyais dans un fauteuil et cela m’a fait un peu mal. C’est une sciatique très douloureuse, très douloureuse ! Je ne le souhaite à personne ! Mais tout ceci, parler avec les personnes, la rencontre avec les séminaristes et les religieuses a été très belle, très belle. Et aussi la rencontre avec les élèves des collèges jésuites a été très belle, ce sont de bonnes choses.
[Ce qui m’a le plus surpris], ce sont les personnes, les personnes, les personnes bonnes que j’ai rencontrées. J’ai trouvé beaucoup de personnes bonnes au Vatican. Je me suis demandé quoi dire, mais ça, c’est vrai. Je fais justice en disant cela : beaucoup de bonnes personnes. Beaucoup de bonnes personnes, beaucoup de bonnes personnes, mais bonnes, bonnes, bonnes !
Quelles mesures concrètes en faveur des femmes dans l’Église ?
Une Église sans les femmes est comme le Collège apostolique sans Marie. Le rôle de la femme dans l’Église n’est pas seulement la maternité, la mère de famille, mais il est plus fort : c’est vraiment l’icône de la Vierge, de Notre Dame, celle qui aide l’Église à grandir ! Mais pensez que la Vierge Marie est plus importante que les apôtres ! Elle est plus importante ! L’Église est féminine, elle est Église, elle est épouse, elle est mère. Mais, dans l’Église, la femme ne doit pas seulement – je ne sais pas comment le dire en italien – le rôle de la femme dans l’Église ne doit pas finir comme mère, comme travailleuse, limitée… Non ! C’est autre chose !
Mais les papes… Paul VI a écrit quelque chose de très beau sur les femmes, mais je crois qu’il faut aller plus loin dans l’explicitation de ce rôle et ce charisme de la femme. On ne peut pas comprendre une Église sans femmes, mais des femmes actives dans l’Église, avec leur profil, qui font avancer.
Je pense à un exemple qui n’a rien à voir avec l’Église mais c’est un exemple historique : en Amérique latine, le Paraguay. Pour moi, la femme du Paraguay est la femme la plus glorieuse de l’Amérique latine. Tu es Paraguayo ? Après la guerre, il restait huit femmes pour un homme, et ces femmes ont fait un choix un peu difficile, le choix d’avoir des enfants pour sauver la patrie, la culture, la foi et la langue.
Dans l’Église, il faut penser aux femmes dans cette perspective : des choix risqués, mais en tant que femmes. Il faut mieux expliciter cela. Je crois que nous n’avons pas encore de théologie profonde sur la femme, dans l’Église. Elle peut seulement faire ceci, elle peut faire cela, maintenant elle fait l’enfant de chœur, maintenant elle lit les Lectures, elle est présidente de la Caritas… Mais il y a davantage ! Il faut faire une théologie profonde de la femme. C’est ce que je pense.
Quelle participation des femmes dans l’Église ? Quelle position ? Quid de l’ordination ?
Je voudrais expliquer un peu ce que j’ai dit sur la participation des femmes dans l’Église : on ne peut pas se limiter à ce qu’elle fasse l’enfant de chœur, ou la présidente de la Caritas, la catéchiste… Non ! Elle doit être davantage, mais profondément davantage, et même mystiquement davantage, c’est ce que j’ai voulu dire en parlant de la théologie de la femme.
Et, en ce qui concerne l’ordination des femmes, l’Église a parlé et dit : « Non ». C’est Jean-Paul II qui l’a dit, mais il l’a formulé de manière définitive. Cette porte-là est fermée, mais à ce sujet, je veux te dire une chose. Je l’ai dit, mais je le répète. La Vierge Marie était plus importante que les apôtres, les évêques, les diacres et les prêtres. La femme, dans l’Église, est plus importante que les évêques et les prêtres. Comment ? C’est ce que nous devons chercher à mieux expliciter parce que je crois qu’il manque encore une explicitation théologique. Merci.
Paroles du pape François à propos de la liturgie orthodoxe
Dans les Églises orthodoxes, on a conservé cette liturgie ancienne, si belle. Nous, nous avons un peu perdu le sens de l’adoration. Eux le conserve, ils adorent Dieu, ils chantent, le temps ne compte pas. Le centre est Dieu, et c’est une richesse que je voudrais dire en cette occasion, puisque vous me posez cette question.
Une fois, en parlant de l’Église occidentale, de l’Europe occidentale, surtout de l’Église plus mûre, on m’a dit cette phrase : « Lux ex oriente, ex occidente luxus ». Le consumérisme, le bien-être, nous ont fait tant de mal. Vous, en revanche, vous conservez cette beauté de Dieu au centre, la référence.
Quand on lit Dostoïevski – je crois que c’est un auteur que nous devrions tous lire et relire, parce qu’il a une sagesse – on perçoit quelle est l’âme russe, l’âme orientale. Cela nous fera beaucoup de bien.
Nous avons besoin de ce renouveau, de cet air frais de l’Orient, de cette lumière de l’Orient. Jean-Paul II l’avait écrit dans sa Lettre. Mais si souvent le luxus de l’Occident nous fait perdre de vue l’horizon. Je ne sais pas, c’est ce qui me vient à l’esprit. Merci.
Propos du pape François sur l'avion: ses prochains voyages
De [calendrier] défini-défini, il n’y en a pas. Mais je peux vous dire un peu à quoi on réfléchit. Ce qui est défini, excusez-moi, c’est le 22 septembre à Cagliari, puis le 4 octobre à Assise. J’ai en tête, pour l’Italie, je voudrais aller retrouver les miens [sa famille originaire du Piémont, ndlr], une journée : aller avec un avion le matin et rentrer par un autre, parce que eux, les pauvres, ils m’appellent et nous avons de bonnes relations. Mais seulement un jour.
En dehors de l’Italie : le patriarche Bartholomaios Ier veut faire une rencontre pour commémorer les 50 ans d’Athénagoras et Paul VI à Jérusalem. Le gouvernement israélien aussi m’a adressé une invitation spéciale pour aller à Jérusalem. Je crois que le gouvernement des autorités palestiniennes aussi. On y réfléchit : on ne sait pas bien si on y va ou non…
Et puis, en Amérique latine, je crois qu’il n’y a pas de possibilité d’y retourner, parce que le pape latino-américain, le premier voyage en Amérique latine… au revoir ! Nous devons attendre un peu !
Je crois qu’il est possible d’aller en Asie, mais ça c’est dans l’air. J’ai reçu une invitation à aller au Sri Lanka et aussi aux Philippines. Mais en Asie, il faut y aller. Parce que le pape Benoît n’a pas eu le temps d’aller en Asie, et c’est important. Lui, il est allé en Australie, puis en Europe et en Amérique, mais l’Asie…
Aller en Argentine, en ce moment, je crois qu’on peut attendre un peu, parce que tous ces voyages ont une certaine priorité.
Je voulais aller à Constantinople, le 30 septembre, pour rendre visite à Bartholomaios Ier, mais ce n’est pas possible, ce n’est pas possible à cause de mon agenda. Si nous nous rencontrons, nous le ferons à Jérusalem.
Fatima, il y a aussi une invitation à aller à Fatima, c’est vrai, c’est vrai. Il y a une invitation à aller à Fatima. […] Novembre, novembre : Saint André...
Les catholiques divorcés et remariés et l’accès aux sacrements
C’est une question qui revient toujours. La miséricorde est plus grande que le cas que vous posez. Je crois que c’est le temps de la miséricorde. Ce changement d’époque, et tous ces problèmes de l’Église, tels que le témoignage pas bon de certains prêtres, les problèmes de corruption dans l’Église, et aussi le problème du cléricalisme, pour donner un exemple. Cela a fait tant de blessés, tant de blessés.
Et l’Église est mère : elle doit aller soigner les blessés, avec miséricorde. Mais si le Seigneur ne se lasse pas de pardonner, nous n’avons pas d’autre choix que celui-ci : avant tout, soigner les blessés. C’est une maman, l’Église, et elle doit aller sur ce chemin de la miséricorde. Et trouver une miséricorde pour tous. Mais je pense, quand le fils prodigue est rentré à la maison, son père ne lui a pas dit : « Mais toi, écoute, assieds-toi : qu’as-tu fait de l’argent ? ». Non ! Il a fait la fête ! Ensuite, peut-être, quand le fils a voulu parler, il a parlé. C’est ce que doit faire l’Église. Quand il y a quelqu’un… pas seulement les attendre, aller les chercher ! Voilà la miséricorde. Et je crois que c’est un kairós, ce temps est un kairós de miséricorde.
Mais cette première intuition, c’est Jean-Paul II qui l’a eue, quand il a commencé avec Faustine Kowalska, la divine miséricorde… il avait quelque chose, il avait eu l’intuition que c’était une nécessité de ce temps. En ce qui concerne le problème de la communion pour les personnes remariées, il n’y a pas de problème pour que les personnes divorcées reçoivent la communion, mais quand elles sont remariées, elles ne peuvent pas. Je crois qu’il faut regarder ceci dans la totalité de la pastorale du mariage. Et c’est pour cette raison que c’est un problème.
Mais aussi, entre parenthèses, les orthodoxes ont une pratique différente. Eux, ils suivent la théologie de l’économie, comme ils l’appellent, et ils donnent une seconde possibilité, ils le permettent. Mais je crois que ce problème - je ferme la parenthèse - doit être étudié dans le cadre de la pastorale du mariage.
Et c’est pourquoi, deux choses : en premier, un des thèmes à examiner avec ces huit membres du Conseil des cardinaux, sur lesquels ils se réuniront les 1er, 2 et 3 octobre, est comment avancer dans la pastorale du mariage, et ce problème sortira à ce moment-là.
Et un second point : il y a quinze jours, j’étais avec le secrétaire du synode des évêques, pour le thème du prochain synode. C’était un thème anthropologique, mais en en parlant, en retournant la question dans tous les sens, nous avons vu ce thème anthropologique : comment la foi aide-t-elle la planification de la personne, mais dans la famille, et ensuite, poursuivre avec la pastorale du mariage. Nous sommes en chemin pour une pastorale du mariage un peu profonde. Et c’est le problème de tout le monde, parce qu’il y en a beaucoup, non ?
Par exemple, je ne donne qu’un seul exemple : le cardinal Quarracino, mon prédécesseur [à Buenos Aires, ndlr], disait que selon lui la moitié des mariages étaient nuls. Mais pourquoi disait-il cela ? Parce qu’on se marie sans maturité, on se marie sans se rendre compte que c’est pour toute la vie, ou on se marie parce que, socialement, il faut se marier. Et la pastorale du mariage entre aussi là-dedans.
Et aussi le problème judiciaire de la nullité des mariages, il faut revoir cela, parce que les tribunaux ecclésiastiques ne suffisent pas. C’est complexe, le problème de la pastorale du mariage. Merci.