samedi 29 juin 2013

La foi n'est pas intransigeante

Lettre Encyclique Lumen Fidei du Pape François sur la foi.


32. Dans la mesure où elle annonce la vérité de l’amour total de Dieu et ouvre à la puissance de cet amour, la foi chrétienne arrive au plus profond du coeur de l’expérience de chaque homme, qui vient à la lumière grâce à l’amour et est appelé à aimer pour demeurer dans la lumière. Mus par le désir d’illuminer toute réalité à partir de l’amour de Dieu manifesté en Jésus et cherchant à aimer avec le même amour, les premiers chrétiens trouvèrent dans le monde grec, dans sa faim de vérité, un partenaire idoine pour le dialogue. La rencontre du message évangélique avec la pensée philosophique du monde antique fut un passage déterminant pour que l’Évangile arrive à tous les peuples. Elle favorisa une inter-action féconde entre foi et raison, interaction qui s’est toujours développée au cours des siècles jusqu’à nos jours. Le bienheureux Jean Paul II, dans sa Lettre encyclique Fides et ratio, a fait voir comment foi et raison se renforcent réciproquement. Quand nous trouvons la pleine lumière de l’amour de Jésus, nous découvrons que, dans tous nos amours, était présent un rayon de cette lumière et nous comprenons quel était son objectif final. Et, en même temps, le fait que notre amour porte en soi une lumière, nous aide à voir le chemin de l’amour vers la plénitude du don total du Fils de Dieu pour nous. Dans ce mouvement circulaire, la lumière de la foi éclaire toutes nos relations humaines, qui peuvent être vécues en union avec l’amour et la tendresse du Christ.

33. Dans la vie de saint Augustin, nous trouvons un exemple significatif de ce cheminement au cours duquel la recherche de la raison, avec son désir de vérité et de clarté, a été intégrée dans l’horizon de la foi, dont elle a reçu une nouvelle compréhension. D’une part, saint Augustin accueille la philosophie grecque de la lumière avec son insistance sur la vision. Sa rencontre avec le néoplatonisme lui a fait connaître le paradigme de la lumière, qui descend d’en-haut pour éclairer les choses, et qui est ainsi un symbole de Dieu. De cette façon saint Augustin a compris la transcendance divine et a découvert que toutes les choses ont en soi une transparence, et qu’elles pouvaient, pour ainsi dire, réfléchir la bonté de Dieu, le Bien. Il s’est ainsi libéré du manichéisme dans lequel il vivait auparavant et qui le disposait à penser que le mal et le bien s’opposent continuellement, en se confondant et en se mélangeant, sans avoir de contours précis. Comprendre que Dieu est lumière lui a donné une nouvelle orientation dans l’existence, la capacité de reconnaître le mal dont il était coupable et de s’orienter vers le bien.

D’autre part, cependant, dans l’expérience concrète de saint Augustin, que lui-même raconte dans ses Confessions, le moment déterminant de sa marche de foi n’a pas été celui d’une vision de Dieu, au-delà de ce monde, mais plutôt le moment de l’écoute, quand dans le jardin il entendit une voix qui lui disait : « Prends et lis » ; il prit le volume contenant les Lettres de saint Paul et s’arrêta sur le treizième chapitre de l’Épitre aux Romains. Se révélait ainsi le Dieu personnel de la Bible, capable de parler à l’homme, de descendre pour vivre avec lui et d’accompagner sa marche dans l’histoire, en se manifestant dans le temps de l’écoute et de la réponse.

Et pourtant, cette rencontre avec le Dieu de la Parole n’a pas amené saint Augustin à refuser la lumière et la vision. Guidé toujours par la révélation de l’amour de Dieu en Jésus, il a intégré les deux perspectives. Et ainsi il a élaboré une philosophie de la lumière qui accueille en soi la réciprocité propre de la parole et ouvre un espace de liberté du regard vers la lumière. De même qu’à la parole correspond une réponse libre, de même la lumière trouve comme réponse une image qui la réfléchit. Saint Augustin peut se référer alors, en associant écoute et vision, à la « parole qui resplendit à l’intérieur de l’homme ». De cette manière, la lumière devient, pour ainsi dire, la lumière d’une parole, parce qu’elle est la lumière d’un Visage personnel, une lumière qui, en nous éclairant, nous appelle et veut se réfléchir sur notre visage pour resplendir de l’intérieur de nous-mêmes. D’ailleurs, le désir de la vision de la totalité, et non seulement des fragments de l’histoire, reste présent et s’accomplira à la fin, quand l’homme, comme le dit le saint d’Hippone, verra et aimera. Et cela, non parce qu’il sera en mesure de posséder toute la lumière, qui sera toujours inépuisable, mais parce qu’il entrera, tout entier, dans la lumière.

34. La lumière de l’amour, propre à la foi, peut illuminer les questions de notre temps sur la vérité. La vérité aujourd’hui est souvent réduite à une authenticité subjective de chacun, valable seulement pour la vie individuelle. Une vérité commune nous fait peur, parce que nous l’identifions avec l’imposition intransigeante des totalitarismes. Mais si la vérité est la vérité de l’amour, si c’est la vérité qui s’entrouvre dans la rencontre personnelle avec l’Autre et avec les autres, elle reste alors libérée de la fermeture dans l’individu et peut faire partie du bien commun. Étant la vérité d’un amour, ce n’est pas une vérité qui s’impose avec violence, ce n’est pas une vérité qui écrase l’individu. Naissant de l’amour, elle peut arriver au coeur, au centre de chaque personne. Il résulte alors clairement que la foi n’est pas intransigeante, mais elle grandit dans une cohabitation qui respecte l’autre. Le croyant n’est pas arrogant ; au contraire, la vérité le rend humble, sachant que ce n’est pas lui qui la possède, mais c’est elle qui l’embrasse et le possède. Loin de le raidir, la sécurité de la foi le met en route, et rend possible le témoignage et le dialogue avec tous.

D’autre part, la lumière de la foi, dans la mesure où elle est unie à la vérité de l’amour, n’est pas étrangère au monde matériel, car l’amour se vit toujours corps et âme ; la lumière de la foi est une lumière incarnée, qui procède de la vie lumineuse de Jésus. Elle éclaire aussi la matière, se fie à son ordre, reconnaît qu’en elle s’ouvre un chemin d’harmonie et de compréhension toujours plus large. Le regard de la science tire ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi réveille le sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de se complaire dans ses formules et l’aide à comprendre que la nature est toujours plus grande. En invitant à l’émerveillement devant le mystère du créé, la foi élargit les horizons de la raison pour mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche scientifique.

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