Discours prononcé par le Pape François lors de sa renontre avec les pauvres, les chômeurs et les immigrés assistés par la Caritas à Assise.
Mon frère évêque m’a dit que c’est la première fois, en 800 ans, qu’un Pape vient ici. Ces jours-ci, dans les journaux, dans les moyens de communication, on imaginait : « Le Pape ira dépouiller l’Église, là ! ». « De quoi dépouillera-t-il l’Église ? ». « Il dépouillera les habits des évêques, des cardinaux ; il se dépouillera lui-même ». C’est une bonne occasion d’inviter l’Église à se dépouiller. Mais l’Église c’est nous tous ! Tous ! Du premier baptisé, nous sommes tous Église, et nous devons tous aller sur le chemin de Jésus, qui a parcouru Lui-même un chemin de dépouillement. Il est devenu servant, serviteur ; il a voulu être humilié jusqu’à la Croix. Et si nous voulons être chrétiens, il n’y a pas d’autre voie. Mais ne pouvons-nous pas faire un christianisme un peu plus humain — dit-on — sans croix, sans Jésus, sans dépouillement ? De cette façon, nous deviendrions des chrétiens de pâtisserie, comme de beaux gâteaux, comme de belles confiseries ! Très beaux, mais pas de vrais chrétiens ! Quelqu’un dira : « Mais de quoi doit se dépouiller l’Église ? ». Elle doit se dépouiller aujourd’hui d’un danger très grave, qui menace chaque personne dans l’Église, tous : le danger de la mondanité. Le chrétien ne peut vivre avec l’esprit du monde. La mondanité qui nous conduit à la vanité, à l’arrogance, à l’orgueil. Et cela est une idole, ce n’est pas Dieu. C’est une idole ! L’idolâtrie est le péché le plus grave !
Lorsque les médias parlent de l’Église, ils croient que l’Église, ce sont les prêtres, les religieuses, les évêques, les cardinaux et le Pape. Mais l’Église, c’est nous tous, comme je l’ai dit. Et nous devons tous nous dépouiller de cette mondanité : l’esprit contraire à l’esprit des béatitudes, l’esprit contraire à l’esprit de Jésus. La mondanité nous fait mal. Il est si triste de trouver un chrétien mondain, fort — selon lui —, de cette certitude que lui donne la foi et fort de la certitude que lui donne le monde. On ne peut pas travailler dans les deux parties. L’Église — nous tous — doit se dépouiller de la mondanité, qui la conduit à la vanité, à l’orgueil, qui est l’idolâtrie.
Jésus lui-même disait : « On ne peut pas servir deux maîtres : ou l’on sert Dieu, ou l’on sert l’argent » (cf. Mt 6, 24). Dans l’argent, il y a tout cet esprit mondain ; l’argent, la vanité, l’orgueil, cette voie... Nous ne pouvons pas... il est triste d’effacer d’une main ce que nous écrivons de l’autre. L’Evangile est l’Evangile ! Dieu est unique : et Jésus s’est fait serviteur pour nous et l’esprit du monde n’a rien à voir ici. Aujourd’hui, je suis ici avec vous. Un grand nombre d’entre vous ont été dépouillés par ce monde sauvage, qui ne donne pas de travail, qui n’aide pas : un monde auquel importe peu s’il y a des enfants qui meurent de faim ; peu importe si tant de familles n’ont pas à manger, n’ont pas la dignité de porter le pain à la maison ; peu importe que tant de personnes soient obligées de fuir l’esclavage, la faim et fuir à la recherche de la liberté. Avec combien de douleur, tant de fois, nous voyons qu’ils trouvent la mort, comme cela est arrivé hier à Lampedusa : aujourd’hui est un jour de pleurs ! C’est l’esprit du monde qui fait ces choses. Il est vraiment ridicule qu’un chrétien — un vrai chrétien — qu’un prêtre, qu’une religieuse, qu’un évêque, qu’un cardinal, qu’un Pape veuille aller sur la voie de cette mondanité, qui est une attitude criminelle. La mondanité spirituelle tue ! Elle tue l’âme ! Elle tue les personnes ! Elle tue l’Église !
Lorsque François, ici, a accompli ce geste de se dépouiller, c’était un garçon jeune, il n’avait pas la force de faire cela. C’est la force de Dieu qui l’a poussé à faire cela, la force de Dieu qui voulait nous rappeler ce que Jésus nous disait sur l’esprit de ce monde, ce que Jésus a prié au Père, afin que le Père nous sauve de l’esprit du monde.
Aujourd’hui, ici, nous demandons la grâce pour tous les chrétiens. Que le Seigneur nous donne à tous le courage de nous dépouiller, mais pas de 20 lires, de nous dépouiller de l’esprit du monde, qui est la lèpre, c’est le cancer de la société ! C’est le cancer de la révélation de Dieu ! L’esprit du monde est l’ennemi de Jésus ! Je demande au Seigneur qu’il nous donne à tous cette grâce de nous dépouiller. Merci !
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Au terme de la rencontre, le Pape a prononcé les paroles suivantes :
Merci, merci beaucoup pour votre accueil. Priez pour moi, j’en ai besoin... Tous ! Merci !
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Nous publions ci-contre les paroles que le Pape avait préparées et qu’il a remises à l’évêque, les donnant pour lues :
Chers frères et sœurs,
Merci pour votre accueil ! Ce lieu est un lieu spécial, c’est pour cela que j’ai voulu faire une étape ici, même si la journée est très chargée. C’est ici que François se dépouilla de tout, devant son père ; devant l’évêque, et les habitants d’Assise. Ce fut un geste prophétique, et ce fut également un acte de prière, un acte d’amour et d’abandon au Père qui est dans les cieux.
A travers ce geste, François fit un choix : le choix d’être pauvre. Ce n’est pas un choix sociologique, idéologique, c’est le choix d’être comme Jésus, de l’imiter, de le suivre jusqu’au bout. Jésus est Dieu qui se dépouille de sa gloire. Nous le lisons chez saint Paul : le Christ Jésus, qui était Dieu, se dépouilla, s’anéantit, et devint semblable à nous, et dans cet abaissement, il arriva jusqu’à la mort sur la croix (cf. Ph 2, 6-8). Jésus est Dieu, mais il est né nu, il a été placé dans une crèche, et il est mort nu et crucifié.
François s’est dépouillé de toute chose, de sa vie mondaine, de lui-même, pour suivre son Seigneur Jésus, pour être comme Lui. L’évêque Guy comprit alors ce geste et se leva immédiatement, embrassa François et le couvrit de son manteau, et fut toujours son aide et son protecteur (cf. Vita prima, sf, 344).
Le dépouillement de François nous dit simplement ce qu’enseigne l’Evangile : suivre Jésus signifie le mettre à la première place, nous dépouiller des nombreuses choses que nous avons et qui étouffent notre cœur, renoncer à nous-mêmes, prendre la croix et la porter avec Jésus. Nous dépouiller du moi orgueilleux et nous détacher de l’avidité de l’avoir, de l’argent, qui est une idole qui possède.
Nous sommes tous appelés à être pauvres, à nous dépouiller de nous- mêmes ; et pour cela, nous devons apprendre à être avec les pauvres, partager avec ceux qui sont privés du nécessaire, toucher la chair du Christ ! Le chrétien n’est pas quelqu’un qui se remplit la bouche avec les pauvres, non ! C’est quelqu’un qui les rencontre, qui les regarde dans les yeux, qui les touche. Je suis ici non pas pour « faire la une », mais pour indiquer que cette voie est la voie chrétienne, celle qu’a parcourue saint François. Saint Bonaventure, en parlant du dépouillement de saint François, écrit : « Ainsi le serviteur du Roi suprême demeura dépouillé de tout afin de marcher à la suite de celui qu’il aimait, à la suite de son Seigneur attaché nu à la croix » (sf, 1043).
Mais je voudrais, comme Pasteur, me demander également : de quoi l’Église doit-elle se dépouiller ?
Se dépouiller de toute mondanité spirituelle, qui est une tentation pour tous ; se dépouiller de toute action qui n’est pas pour Dieu, qui n’est pas de Dieu ; de la peur d’ouvrir les portes et d’aller à la rencontre de tous, en particulier des plus pauvres, des personnes dans le besoin, éloignées, sans attendre ; certainement pas pour se perdre dans le naufrage du monde, mais pour apporter avec courage la lumière du Christ, la lumière de l’Evangile, même dans l’obscurité, là où on ne voit pas, où il peut arriver de trébucher ; se dépouiller de la tranquillité apparente que donnent les structures, certainement nécessaires et importantes, mais qui ne doivent jamais obscurcir l’unique force véritable qu’elle porte en elle : celle de Dieu. C’est Lui notre force ! Se dépouiller de cela est essentiel, car la référence est le Christ ; l’Église est celle du Christ ! De nombreux pas, en particulier au cours de ces décennies, ont été accomplis. Continuons sur cette voie qui est celle du Christ, celle des saints.
Pour tous, pour notre société également qui donne des signes de fatigue, si nous voulons nous sauver du naufrage, il est nécessaire de suivre la voie de la pauvreté, qui n’est pas la misère — celle-ci est à combattre — mais savoir partager, être plus solidaire de ceux qui sont dans le besoin, se fier davantage à Dieu et moins de nos forces humaines. Mgr Sorrentino a rappelé l’œuvre de solidarité de l’évêque Nicolini, qui a aidé des centaines de juifs en les cachant dans les couvents, et le centre de triage secret se trouvait précisément ici, à l’évêché. Cela aussi est un dépouillement, qui part toujours de l’amour, de la miséricorde de Dieu !
Dans ce lieu qui nous interpelle, je voudrais prier afin que chaque chrétien, l’Église, chaque homme et femme de bonne volonté, sache se dépouiller de ce qui n’est pas essentiel pour aller à la rencontre de celui qui est pauvre et demande à être aimé. Merci à tous !
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